La droite dans ses contradictions…
Durant près de trente ans, Jean-Marie Le Pen a réussi à rassembler au sein du FN une galaxie aussi improbable que diversifiée de courants de l’extrême droite française. Malgré quelques scissions et au prix de nombreuses concessions idéologiques, cette union sacrée a longtemps subsisté. Convaincue que ces alliances ne sont plus nécessaires pour maintenir l'hégémonie du Front national à la droite de la droite, Marine Le Pen joue désormais la carte de l’autonomie. Sa victoire au congrès de Tours entérine ainsi la défaite de l’extrême droite historique.
Faut-il rénover l’image du Front national pour accéder au pouvoir? En 1998, la question se posait déjà et fut à l’origine du départ de Bruno Mégret. Depuis cette scission, deux courants n’ont cessé de se disputer le leadership du parti. D’un côté les cadres historiques entraînés par un Bruno Gollnisch, désireux de préserver la vulgate frontiste des origines, et de l’autre les «modernistes» incarnés par une Marine Le Pen, soucieuse de «dé diaboliser» et de «dé ringardiser» l’image du FN.
Longtemps, le FN a été une formation honnissant la «Ripoublique», revendiquant «ses attaches chrétiennes» et proposant un programme économique pour le moins libéral. Mais à partir de 2002, la montée en puissance de la fille de Jean-Marie Le Pen et sa liberté de ton par rapport à la ligne du parti (notamment son refus de s’opposer frontalement à la loi Veil sur l’avortement) provoquent une «rénovation programmatique» et des dissensions au sein de l'appareil. Ainsi, en 2005, Bernard Antony, chef de file des catholiques traditionalistes décide de claquer la porte après 21 ans de service.
Marine Le Pen a vite choisi de rompre avec le dogme « originel » en proposant une « vision laïciste et républicaine », et en s’investissant sur les questions économiques et sociales, prenant le contre pied des habitudes de Jean Marie Le Pen …, prisonnier des combats passés.
L'historien Nicolas Lebourg estime ainsi qu'«à l’instar de l’ancien numéro 2 du mouvement, Jean-Pierre Stirbois, jadis convaincu qu’un transfert de voix s’opérerait du PC vers le FN, Marine Le Pen est persuadée que sa réussite passe par la conquête des classes populaires.»
Pour accéder au pouvoir, le FN de Marine Le Pen souhaite donc élargir considérablement sa base électorale, quitte à prendre le risque de se faire déborder sur sa droite. «Vous serez surpris des futures inflexions du parti», confiait récemment Laurent Ozon, proche conseiller de Marine Le Pen
En dépit des tentatives des traditionalistes pour contenir son influence (comme lors du congrès de Nice en 2003), Marine Le Pen a gravi tous les échelons au sein de l’appareil. En 2008, Carl Lang, après avoir refusé de lui céder sa place de tête de liste aux élections européennes, choisit lui aussi de quitter le Front national afin de créer un mouvement concurrent, le Parti de la France. La même année, Jean-Claude Martinez, le «Monsieur fiscalité» du FN, chantre de l’ultra libéralisme fiscal, abandonne l’aventure. «Je ne me retrouvais plus dans ses orientations politiques et économiques, c’est devenu du centrisme son programme!»
Aujourd'hui, créditée en moyenne de 20% d’intentions de vote à l’élection présidentielle, Marine Le Pen estime que sa stratégie est la bonne et qu’elle peut se passer de l’extrême droite historique, comme l’explique le sociologue Erwan Lecoeur. Chef de file des courants néo-païens qui a quitté le FN en 1998, Pierre Vial estime ainsi qu'«une page du Front s'est tournée lors de ce congrès, Marine Le Pen considère les courants historiques comme des handicaps pour sa conquête du pouvoir »…. Elle sait que les militants issus des différentes chapelles de l'extrême droite traditionaliste (à savoir les catholiques traditionalistes, les néo-païens et les nostalgies de l’Algérie française voire pétainistes), longtemps majoritaires au sein de l'appareil, ne pèsent plus sur l'avenir du FN pour des raisons d’abord générationnelles. «Elle aurait plus à perdre qu’à gagner en réintégrant ces courants devenus anachroniques»…
Malgré les départs de certains membres de la vieille garde tels Roger Holeindre, membre fondateur du FN, ou Farid Smahi, ancien conseiller régional d'Ile-de-France pro Gollnisch, Marine Le Pen ne redoute aucune hémorragie de sa base militante. D’autant qu’aucune figure semble capable de rassembler les groupuscules d’extrême droite.
Leur chef aurait pu être Bruno Gollnisch. Dauphin de Jean-Marie Le Pen, il représentait le dernier espoir de contrarier l’ascension du «clone» (surnom donné à Marine Le Pen au sein du parti). Mais la victoire de Marine Le Pen , lors des primaires internes du parti a entériné la défaite de l’extrême droite traditionaliste et des militants les plus radicaux regroupés derrière Bruno Gollnisch qui a été le grand architecte de l’élimination des mégrétistes au sein du Front national en 1998. Pour le sociologue spécialiste de l’extrême droite Erwan Lecoeur : «Être minoritaire au sein d’un mouvement important ou tenter d’exister politiquement en marge, c’est une question qui agite l’extrême droite française depuis Maurras en 1936»… «La différence de Marine Le Pen contrairement à son père, c’est qu’elle ne laissera pas libre court à des discours qui rentreraient en contradiction avec sa stratégie de dédiabolisation».
Jean-Marie Le Pen a cherché à agréger toutes les forces de l’extrême droite française autour d’une plateforme générique: le Front national. Dans la droite ligne de Charles Maurras, le président du FN était parvenu à réaliser le «compromis nationaliste», c'est-à-dire l’union sacrée des différentes franges de la droite nationaliste pour lutter contre le «système»…Aujourd’hui, «l'extrême droite est composée d'une force largement dominante, le Front national, et de deux forces minoritaires, le Bloc identitaire et l'extrême droite historique devenue groupusculaire». Parmi les partis qui gravitent au sein de l'extrême droite traditionaliste, aucun ne semble en mesure de le concurrencer. Que ce soit le Parti de la France (PDF) de Carl Lang, la Nouvelle droite populaire (NDP) de Robert Spieler ou bien encore le Mouvement national républicain (MNR) d’Annick Martin, ces mouvements peinent à présenter une alternative crédible au Front national
Reste le cas du Bloc identitaire, un mouvement qui réalise des scores locaux importants (notamment en Provence Alpes-Côte d'Azur ) mais, qui n’est pas très éloigné idéologiquement des positions de Marine Le Pen. Contrairement aux traditionalistes qui continuent de se focaliser sur l'immigration, les identitaires se focalisent sur le rejet de l'islam et du multiculturalisme. Selon l’historien Nicolas Lebourg, «le Bloc identitaire sert d’aiguillon idéologique pour le Front national au sein de l’opinion publique. Les idées qui marchent sont ensuite récupérées dans le programme du FN» … Le cas de l’ancien maire de Nice Jacques Peyrat est révélateur. Bien qu'ayant conclu un accord avec les Identitaires pour les prochaines élections cantonales, il a souhaité recevoir le soutien du FN….
«A part la différence de cadre (régional pour le Bloc identitaire et national pour le FN), il y a finalement peu de points de divergences entre ces deux mouvements», Grâce à des actions coups de poing comme les « apéros saucissons-pinard » ou l'organisation des Assises contre l'islamisation, le Bloc identitaire bénéficie d'une reconnaissance médiatique et a déjà désigné un candidat en vue de la présidentielle: Arnaud Gouillon. Alors même que Marine Le Pen a déclaré, dans l’attitude victimaire de son père, qu’elle doutait parfois d’obtenir «les 500 signatures nécessaires pour se présenter à la présidentielle».
Sources : Slate .fr/Le Point.fr